« Je devais faire des choses que je ne savais pas faire, et je devais les faire justes »
LA PAROLE AUX PROCHES - Gilbert et Berty ont eu une vie bien remplie et s’apprêtaient à vivre une retraite paisible. Le destin en aura décidé autrement. En 2006, Berty fait un accident vasculaire cérébral. Une nouvelle vie commence pour Gilbert : celle de proche aidant.
© Hugues Siegenthaler
Gilbert et Berty
Gilbert et Berty, c’est une histoire d’amour qui a duré 68 ans. « Nous nous sommes rencontrés dans un groupe de jeunesse à Genève. Ce n’était pas un coup de foudre : une bombe atomique ! », nous raconte Gilbert en souriant. « Berty, c’était quelqu’un d’exceptionnel ! Elle n’avait peur de rien. » Ces deux-là semblent s’être aimés jusqu’au bout comme au premier jour. Gilbert a vécu mille vies et il fallait bien quelqu’un au fort caractère pour suivre le rythme. Apprenti dans une entreprise de transport international, déclarant en douane, salarié dans une société fabriquant des appareils de radionavigation pour l'aviation, banquier, carrossier ou encore constructeur de chalets : que de métiers ! Et puis la Vie lui donne une nouvelle profession : celle de proche aidant.
Prendre des risques pour son bien
« Avec Berty, on s’apprêtait à vivre une vieillesse tranquille. On comptait acheter un bus pour assouvir notre passion des voyages. » Ses souvenirs sont précis, il les raconte dans un livre[1] : « Ce 15 mars 2006 à 17h05, Berty fait un AVC. » Les médecins sont peu confiants sur son pronostic vital. « Il faut d’abord résister au choc », raconte Gilbert. Berty va mieux ; suit le rythme des visites quotidiennes à l’hôpital. « Je me suis rendu compte que j’étais le seul capable de lui reconstruire la mémoire. Elle avait tout oublié, même son nom. La seule chose qu’elle n’avait pas oublié, c’était le mien. » Inlassablement, Gilbert sollicite la mémoire de Berty. Il lui pose des questions, lui propose des exercices. Il nous montre le petit carnet rose dans lequel il avait inscrit les exercices qu’il lui faisait faire. Des calculs, mais aussi des dessins, dont elle devait retrouver le mot : « Avec moi, Berty était à l’école 7 heures par jour ! »
Au fond de lui, Gilbert sait qu’il faut pousser Berty pour qu’elle progresse. C’est comme si, instinctivement, il sait ce qui est bon pour elle. Comme lorsque, à l’hôpital, il décide de tenter le café sans épaississant. « Ce café gluant, c’était dégoûtant. Une fois, je me suis dit « pour elle, je vais essayer » : pas de gélifiant dans son café. Pas de « fausse route » et le plaisir de boire un vrai café ! » Gilbert s’est pris un savon de la doctoresse. Cela ne l’a pas empêché pour autant de continuer. « Sans penser à mal j’ai pris des risques tout au long de ma vie de proche aidant. Je voulais qu’elle revienne à une vie à peu près normale », nous explique Gilbert.
Livré à lui-même 22 heures par jour
Puis l’hôpital annonce à Gilbert que Berty peut rentrer à la maison. Il faut adapter l’appartement de Bassins et faire valider les changements par une ergothérapeute. Berty rentre définitivement. « C’est là que cela s’est très mal passé pour moi, poursuit Gilbert. Je me suis rendu compte que le CMS[2] était là deux heures par jour, et que tout reposait sur mes épaules les 22 autres heures. » Aucune formation, aucun conseil pour s’occuper de Berty : « Je devais faire des choses que je ne savais pas faire, et je devais les faire justes. »
Gilbert observe les soignantes qui viennent s’occuper de Berty : la laver, l’habiller, faire les transferts du lit à la chaise roulante et inversement. Il enregistre les gestes et les reproduit. « J’ai fait environ 30'000 transferts. Je peux dire que je n’en ai pas raté un ! », se réjouit Gilbert. Mais cela aurait pu mal finir. « C’est une pure folie ! On nous demande de prendre soin de quelqu’un sans nous dire comment faire. ».
« C’est une pure folie ! On nous demande de prendre soin de quelqu’un sans nous dire comment faire. » - Gilbert
Gilbert se rend compte que, bien souvent, l’avis du proche n’est pas pris en compte par le corps médical. « Cela me désespérait quand j’amenais Berty à l’hôpital et que ce que je disais tombait dans l’oreille d’un sourd. » Le proche aidant devenu militant n’en peut plus :« J’ai écrit une lettre au directeur de l’Hôpital de Nyon et j’ai pensé que ma lettre allait passer à la poubelle. Mais pas du tout ! » Après plusieurs contacts, il obtient un rendez-vous et parle de son vécu au directeur. Gilbert n’en revient pas : quelque temps après, il lui présente la charte du proche aidant qui sera diffusée au sein du groupement hospitalier.
Militer pour une reconnaissance du proche aidant
Gilbert écrit un livre plaidoyer ("Journal d'un proche aidant", voir ci-dessous) dans lequel il témoigne de son histoire. Son cheval de bataille : la formation du proche. « Nous sommes auprès de notre proche à l’hôpital : pourquoi nous faire sortir dans le couloir lorsqu’il y a des soins ? Permettez-nous de rester pour apprendre ! » propose le nonagénaire.
La parution de son livre lui ouvre les portes : il le fait parvenir au CHUV, aux HUG, et puis à l’Etat. Gilbert rencontre les Conseillers d’Etat vaudois et genevois responsables de la santé. « Vous vous rendez compte ! Ils me convoquent alors qu’ils ne savent pas qui je suis ! » Il les sensibilise, leur raconte son histoire.
Berty s’est éteinte un jour d’août 2018. Elle laisse un vide énorme. Gilbert poursuit son combat pour la reconnaissance du statut de proche aidant. « Ce n’est pas pour moi que je me suis démené comme cela, mais c’est pour les suivants. »
La prise de conscience se fait petit à petit. Gilbert prend son bâton de pèlerin, sème des graines, rencontre les responsables. Il fait des conférences auprès des équipes de soins et dans des gymnases. Il raconte son histoire dans les médias. Il parle de l’importance du proche pour le rétablissement de la personne aidée. Il rend visible ce rôle invisible.
Un grand pas pour les proches aidants
Il reste beaucoup à faire mais les avancées sont là ! Gilbert détient la carte d’urgence numéro un. Mise en place par les CMS, elle permet d’organiser le relai auprès de la personne en situation de handicap lorsque le proche est soudainement empêché d'apporter son aide. Et dorénavant, l’hôpital de Nyon propose une carte du proche aidant : « Elle permet au personnel médical de savoir qui on est, mais surtout d’avoir accès à des horaires de visite étendus et au parking gratuit. » Et c'est en cours de réalisation au CHUV.
Avec son témoignage, Gilbert veut donner la force et la confiance à d’autres de s’occuper de leur proche : « Si c’est difficile, ce n’est pas impossible ! Le résultat est tellement important, ça en vaut la peine ! »
[1] «Journal d’un proche aidant. Une réalité à votre portée. », 2018. Ce livre peut être commandé gratuitement en écrivant un mail à g.kislig@gmail.com
[2] Centre médical social
Entretien: Johanna Monney
Photo: Hugues Siegenthaler
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